Série d’essais de dissertation sur des sujets philosophiques
Sujet : Peut-on dire de l’art qu’il dépasse la raison ?
Problématique
La raison, c’est la faculté de connaître avec ses exigences de cohérence, de mesure, de symétrie, etc. ; mais la raison c’est aussi la vérité, la preuve. Ce qui dépasse, c’est ce qui est hors de portée ou qui est plus élevé. L’art échapperait ou s’affranchirait donc des normes et exigences rationnelles : cette liberté serait la source de sa fécondité. Est-ce à dire que les productions artistiques sont plus élevées (parfaites) que celles de la philosophie, de la science, etc. ? Mais si l’art dépasse la raison, quelle est sa source ? Le fait que les artistes aient besoin de la technique et de la science n’infirme-t-il pas une quelconque supériorité de l’art sur la raison ? Et la critique d’art n’a-t-elle pas comme étalon la raison ?
-Dire de l’art qu’il dépasse la raison dans le premier sens, c’est suggérer qu’aucune norme rationnelle ne saurait circonscrire l’art (le surréalisme par exemple est défini par A. Breton comme « la dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale »). L’on pourrait davantage illustrer cette transcendance voire suprématie de l’art sur la raison par l’univers dionysiaque par opposition à celui d’Apollon (cf. Nietzsche « il faut avoir en soi le chaos pour accoucher d’une étoile qui danse »). Le délire, l’inconscient, la maladie mentale, sont réputés être des états propices à l’inspiration et à la création artistiques : l’irrationnel est sans doute le champ fertile de l’art. S’il est difficile, voire impossible d’expliquer une œuvre d’art c’est en partie parce qu’elle dépasse la raison, elle échappe à son pouvoir, à son domaine de compétence. Expliquer, c’est donner un sens, or le but de l’art n’est pas forcément le sens, c’est plutôt le beau. L’œuvre d’art s’adresse d’abord à notre sensibilité, elle cherche à nous séduire et non à nous faire penser. A cela s’ajoute le fait que l’inspiration de l’artiste, est un mystère : elle relève d’une intimité que nul ne partage.
-Le fait que l’art africain soit asymétrique montre justement qu’on ne saurait circonscrire l’activité artistique dans des normes fixes comme l’harmonie, la proportion, la régularité, de la mesure etc.
-Dire de l’art qu’il dépasse la raison, c’est mettre en évidence le principe selon lequel l’art est affranchi de la norme de vérité. L’art est certes « un mensonge », mais face à certaines tragédies de l’existence, il est plus utile à l’homme. La où la raison échoue face à l’absurdité de l’existence et à son caractère tragique, l’art va plus loin que la science et la philosophie. Nietzsche dit justement préférer le mensonge qui fait vivre à la vérité qui tue.
La mesure, les normes, la timidité inhibent la créativité artistique, c’est dans la rupture que s’inventent les chefs-d’œuvre. Pour innover il faut du génie, or le génie contourne les normes et les traditions, il est de l’ordre de l’anormal. Par le génie, la nature donne ses règles à l’art disait fort justement Kant « le génie : est un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée ». L’artiste est généralement incapable d’expliquer comment il a fait pour réaliser son œuvre. Chaque fois que les exigences trop étroites d’un courant littéraire ont inhibé la créativité, c’est un génie qui a investi de nouvelles pistes par la création d’un nouveau courant : c’est le principe même de l’originalité. Il ne l’a pas appris, il l’a sorti de son génie. Le romantisme par exemple s’est formé sur les bordures du classicisme en même temps que contre lui.
Cependant si par art on entend savoir-faire, proclamer la suprématie de l’art sur la raison ne serait-il pas absurde ? Les beaux-arts sont-ils vraiment étrangers à la raison ?
-Il faut d’abord souligner que l’art est une activité exclusivement humaine et, sous ce rapport, on ne saurait lui attribuer une source autre que la raison. Dans la poésie comme dans la littérature, la création artistique obéit à un certain nombre de normes. Le souci de rimer en poésie par exemple prouve qu’il y a le sens de la mesure dans l’art. Il faut ensuite rappeler que le fait que les œuvres d’art fassent l’objet de compétition ne serait pas possible s’il n’y avait pas de critères objectifs pour les juger et les classer.
-Dans tout notre cursus scolaire nous apprenons à commenter des textes : même si toute explication d’une œuvre est relative, on ne peut s’en autoriser pour dire qu’elle est d’office arbitraire. Il y a des pistes qui permettent de décoder le sens caché d’une œuvre d’art, lequel peut échapper même à son auteur. La piste psychanalytique par exemple nous suggère de fouiller dans l’inconscient et du créateur et du public pour saisir le sens à attribuer à une œuvre d’art. Dans son œuvre l’artiste satisfait certains de ses désirs inconscients sous forme de compensation ou de sublimation. Le déterminisme socio-économique postulé par Marx également permet de jeter une lumière sur le sens caché d’une œuvre d’art. Mieux, l’étude de la biographie et de la bibliographie d’un artiste permet à la raison de faire une sorte d’exégèse de son œuvre d’art.
-L’artiste face au monde cherche parfois à changer les consciences et le cours du monde or, dans ce domaine la raison (philosophie et science) n’a rien à envier à l’art. Le génie artistique ne serait probablement rien sans les règles qui régissent chaque domaine artistique. Mozart est un virtuose selon la tradition musicale occidentale, mais son talent n’est pas étranger à l’exercice intense que son père lui faisait faire.
-Si par raison on entend la vérité aussi, la supériorité de l’art sur la raison serait discutable. Car la fiction, l’évasion ne règlent pas les problèmes auxquels l’homme est confronté. L’art peut certes nous consoler en nous cachant la laideur de la vie, mais c’est bien la raison qui nous permet de nous en tirer avec succès. La science par exemple est plus efficace que les beaux-arts en ce qui concerne la prise en charge des difficultés liées à l’existence de l’homme.
-Et si l’art et la raison étaient justement deux voies parallèles et complémentaires que l’homme emprunte pour vivre mieux ?
-La raison est cœur de toutes les activités humaines, y compris l’art. Contrairement à ce qu’on pense, les mélodies et la combinaison des formes et des couleurs obéissent à des opérations mathématiques tellement routinières qu’on ne les sent pas. Les règles ne sont certes pas rigides dans l’art, mais on ne saurait exclure de l’art toute forme de norme. Dans l’absolu la recherche artistique obéit approximativement aux mêmes exigences que celles scientifiques : l’observation de la nature, la recherche, le souci de la conformité, existent bien dans le domaine artistique. L’artiste découvre ou dévoile le beau comme le savant découvre les lois de la nature.
-Quand Schopenhauer disait que ce n’est pas seulement la philosophie, mais encore les beaux-arts qui travaillent à résoudre le problème de l’existence, il ne croyait pas si bien dire ! Il mettait l’accent non sur une quelconque compétition entre les deux, mais sur la pluralité des solutions possibles face à l’absurdité de l’existence. Il faut voir ce que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont produit comme facilités à la création artistique pour comprendre qu’en dehors de la raison le génie artistique n’existe pas, du moins il est faible.
– Si l’on en croit Hegel d’ailleurs, l’art est en soi une des trois manifestations de l’esprit absolu à côté de la religion et de la philosophie : c’est une transfiguration de l’esprit. L’art correspond à un besoin qu’a l’esprit de se contempler sous une forme extérieure.
Au regard de toutes ces considérations, on peut retenir qu’il y a dans l’art une part d’irrationnel (les passions, l’inconscient) qui lui donne son caractère libre et insolite. Mais la présence d’irrationnel dans l’art ne saurait être interprété comme la traduction d’une opposition avec la sphère du rationnel. Il s’agit en fin de compte de comprendre que l’œuvre d’art ressemble à l’homme lui-même : nous sommes une rencontre de rationnel et d’irrationnel. Dans l’art l’irrationnel pénètre le rationnel et celui-ci a dès lors les moyens et le droit de pénétrer celui-là. Sinon pourquoi l’esthétique se définirait comme une discipline philosophique ?
Sujet : Ce n’est pas parce qu’autrui est différent qu’il n’est pas un homme, c’est au contraire parce qu’il est un homme qu’il peut être différent. Quelle réflexion vous suggère ce propos ?
Problématique :
Bien souvent nos différences nous divisent au point de nous amener à refuser l’humanité à d’autres. L’ethnocentrisme et la xénophobie sont omniprésents dans nos discours et conduites, ce qui pose de façon récurrente la question : qu’est-ce que l’homme ? C’est dans ce sens qu’il faut comprendre cette affirmation « Ce n’est pas parce qu’autrui est différent qu’il n’est pas un homme, c’est au contraire parce qu’il est un homme qu’il peut être différent ». Il s’agit ici d’un postulat de l’unité du genre humain par-delà les différences culturelles, religieuses, intellectuelles, etc. Nos différences prouvent notre identité, notre humanité commune. Mais comment ce qui est identique peut-il être différent au point de nous diviser ? Quelle est cette identité qui nous rend si différents ? La capacité d’être différent est-il vraiment spécifique à l’homme ?
Phase de validation : toutes nos différences proviennent de notre nature rationnelle qui est notre identité, notre humanité. Nos pensées nous divisent très souvent et sont source de dispute. Cette raison étant créativité et inventivité nous inspire des cultures, des croyances, des conduites et des opinions différentes et parfois radicalement opposées. Il nous arrive de décréter que telle pratique est inhumaine parce qu’elle ne correspond pas à ce que nous connaissons. Il y a plus de différences de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête suggérait Montaigne dans ce sens. Le langage qui découle de la créativité humaine illustre cette unité par-delà nos différences. En effet, les langues sont diverses, mais elles peuvent s’enrichir mutuellement : emprunts linguistiques, métissages, etc. Les cultures sont différentes, voire opposées, mais c’est un phénomène exclusivement humain. Seul l’homme est capable d’être différent.
Phase critique : L’homme universel existe-il réellement ?
La capacité d’être différent suffit-elle à définir l’humain, à l’isoler du reste de la nature ? Il faut dire d’ailleurs que même dans la société animale, il peut y avoir des différences : il peut y avoir des variétés dans la même espèce par le phénomène de l’adaptation et de l’évolution des espèces. Cela nous donne une idée sur les différences raciales (même si elles ne sont pas essentielles) qui nous guident généralement dans nos relations avec les autres. Les hommes n’ont presque jamais intériorisé le principe de leur identité commune. Il est plus facile de dire que la différence est fondamentalement humaine que de le vivre tous les jours. Il faut par ailleurs souligner que notre capacité à être différents est loin d’être absolue : nous nous imitons les uns les autres, nous nous adaptons et sommes capables de nous acculturer.
Peut-être qu’il serait plus pertinent d’expliquer que nos différences sont dues à l’inexistence d’une nature humaine. On pourrait même être plus souple en affirmant que la nature de l’homme, c’est d’être une non-nature, c’est –à-dire un être qui refuse le statut quo, la fixité, le fini. C’est parce que l’homme est indéfiniment à faire (Pascal « l’homme passe indéfiniment l’homme ») qu’il ne peut être le même partout et tout le temps.
Peut-on vivre sans se soucier de la vérité ?
Problématique
Notre attitude face à la vérité est parfois paradoxale, ambiguë. Nous l’exigeons comme norme ou valeur par rapport auxquelles sont évaluées nos pensées et actions, mais en même temps nous sommes peu enclins à l’accepter quand elle est en notre défaveur. On est même amené quelquefois à la fuir pour ne pas souffrir ou faire souffrir, mais peut-on vraiment vivre sans se soucier de la vérité ? Pourquoi d’ailleurs chercher à ignorer la vérité ? Est-ce par conscience de notre incapacité à la saisir ou simplement par gêne ? Mais vouloir fuir la vérité nous fait-il échapper à sa nécessité ?
1) Le candidat devra montrer que dans nos actions comme dans nos pensées, nous sommes très souvent amenés à nous refugier dans le mensonge et l’illusion. Cette dernière est plus confortable car elle nous berce et nous fait oublier la réalité souvent très tragique. L’homme a des raisons de ne pas se soucier de la vérité car sa définition, son acceptation ainsi que son impact sut nos relations sociales sont compliqués. Les sceptiques doutaient, parce que selon eux, nous ne pouvons atteindre la certitude faute de critère de la vérité, mais aussi parce que pour eux ce sont nos jugements et notre exigence de vérité qui nous rendent malheureux. La voie de l’ataraxie était donc le doute. En plus d’être incertaine, la recherche de la vérité, l’exigence de vérité trouble notre vie et la rend parfois conflictuelle voire absurde. Nietzsche n’avait donc pas tort de dire préférer le mensonge qui fait vivre à la vérité qui tue. L’art serait ainsi un mensonge utile. L’évasion face au réel (fiction) permet d’ignorer la morosité de celle-ci.
2) Le candidat devra également monter la difficulté voire l’absurdité de vouloir vivre sans se soucier de la vérité. Une telle posture rendrait impossible la vie sociale car les hommes ont besoin de normes et de valeurs qu’ils tiennent pour vraies afin de réguler leurs société. Vivre sans se soucier de la vérité rendrait également impossible la science, car il nous faut des vérités auxquelles nous référer pour évaluer notre connaissance du réel. Au nom de quelle valeur voudrait-on d’ailleurs vivre sans se soucier de la vérité ? Les sceptiques avaient renoncé à la quête de la vérité, parce qu’ils étaient sûrs que la certitude est humainement impossible. Mais le paradoxe du scepticisme est justement là : en proclamant l’impossibilité d’accéder à la vérité, il fait une affirmation qu’il tient pour vraie. N’est-ce pas la preuve que vivre sans se soucier de la vérité est une utopie ?
3) L’enjeu final de cette question d’une vie sans la vérité est de nous inciter à l’humilité et au réalisme. L’expérience tragique de souffrances et de déceptions engendrées par l’exigence de vérités absolues, nous a certainement inspirés le sentiment que la vérité est cruelle. Et pour cette raison, nous envisageons logiquement de vivre sans nous soucier de la vérité. Mais une vie humaine sans la norme de la vérité serait-elle encore humaine ? Le charme de la vérité est qu’elle nous révèle notre humanité : nous devons sans cesse nous dépasser dans une quête asymptotique de la vérité sans faire preuve de prétention.
Sujet : La philosophie est-elle un frein pour la vie ?
Définie par les anciens comme « amour de la sagesse », la philosophie traîne la mauvaise réputation de nous détacher du réel, d’être inutile, voire dangereuse. L’on se demande ainsi « La philosophie est-elle un frein pour la vie ? ». Freiner la vie, c’est la nier ou l’inhiber. Il est question ici du rapport de la philosophie à la vie ; et plus particulièrement de l’impact négatif que pourrait avoir la philosophie sur la manière de vivre : la pratique philosophique nous empêcherait-elle de vivre ? S’il est vrai que la philosophie conteste nos façons habituelles de vivre, est-ce suffisant pour la considérer comme négation de la vie ? Comme amour de la sagesse, la philosophie ne permet-elle pas au contraire de vivre mieux ?
La philosophie est un double idéal en tant qu’amour de la sagesse : elle est un idéal de perfection intellectuelle (connaissance de la totalité) et idéal de vertu (une vie éthique). Dans sa dimension éthique la sagesse désirée par le philosophe implique un certain nombre de sacrifices qui font du philosophe un ascète : il est tellement détaché qu’il ressemble, en certains points, à un saint. Les délices de la vie, les frivolités mondaines, les plaisirs charnels sont des sources de trouble et c’est pourquoi le philosophe s’en détache. Platon disait que philosopher c’est apprendre à mourir du corps : cela veut dire que le corps en tant que lieu des sens et des désirs aveuglent l’âme et l’empêchent d’avoir la sérénité. Pour philosopher, pensait Platon, on doit s’affranchir du corps car celui-ci est « le tombeau de l’âme ». Cela veut dire que le corps est une pesanteur qui emprisonne l’âme, l’étouffe et l’empêche de connaître. Le philosophe est dès lors un homme qui mène un mode de vie qui incline à la marginalité, car les manières communes de vivre ne lui conviennent pas. La richesse, les honneurs, la beauté physique n’impressionnent pas le philosophe. Il privilégie la méditation et la nourriture de l’esprit au détriment celle du corps pour paraphraser Descartes. La pratique de la philosophie a toujours été accompagnée d’appréhensions, car c’est une discipline austère. Karl Marx résume tout cela lorsqu’il considère la philosophie comme un onanisme intellectuel ou une simple idéologie à laquelle il oppose une praxis révolutionnaire pour changer le monde. C’est vrai que philosopher c’est nécessairement s’employer à la fois à méditer dans l’abstrait et à prendre ses distances par rapport à l’évidence et à la spontanéité qui caractérisent la vie du commun des mortels. L’anecdote que Platon raconte au sujet de Thalès est, sous ce rapport, pertinente. Thalès tomba au fond d’un puits, car à force méditer sur la position des astres, il oublia de regarder devant lui. La servante de Thrace se moqua de lui, selon Platon, en ces termes « tu prétends connaître ce qu’il y a dans les cieux alors que tu ignores ce qui ce passe sous tes pieds ! ». Cette ironie de la servante de Thrace est révélatrice du danger que comporte la philosophie pour la vie : la servante symbolise, en effet, le travail destiné à la consommation, tandis que la philosophie est pure contemplation et spéculation coupant de la vie et du réel en général. Au regard de tout cela donc on peut considérer la philosophie comme une entrave à la vie : elle démystifie la mondanité et isole ainsi le philosophe du commun des mortels.
Cependant la philosophie est une quête dune sagesse qui devrait extirper l’homme des malheurs de l’existence. Les sagesses post-socratiques comme le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme sont des écoles de vie qui promettent l’ataraxie c’est-à-dire l’absence de souffrance ou l’absence de trouble. Zénon de Cittium, le fondateur du stoïcisme, proposait un eudémonisme, c’est-à-dire une doctrine du bonheur dont le credo était « supporte et abstiens-toi ». Cela revient à adhérer au destin qu’on découvre comme étant rationnel : la vie de la nature est animée par l’âme divine, donc elle est rationnelle et bonne. Le sage doit donc vivre conformément à la Nature. Épicure également nous propose un hédonisme, c’est-à-dire une doctrine du Plaisir qu’il considère comme la finalité de la vie. Mais le sage doit distinguer les vrais plaisirs (ceux qui ne sont pas suivis de déplaisirs) et les faux plaisirs (ceux qui sont fugitifs et suivis de déplaisirs). Le sage est celui qui ne cherchera que les vrais plaisirs à savoir ceux qui sont à la fois naturels de nécessaires, d’où la maxime épicurienne « un peu de pain pour manger, un peu d’eau pour boire et un peu de paille pour dormir ». Ces deux exemples montrent que la philosophie peut, au lieu d’être un frein à la vie, une propédeutique à la vie bonne. On comprend dès lors pourquoi Karl Jaspers disait que « philosopher c’est à la fois apprendre à vivre et savoir mourir ». Apprendre à vivre c’est, en effet, s’élever au-dessus des désirs et des passions qui nous troublent l’âme et empêchent notre sérénité. Apprendre à vivre c’est aussi cultiver l’ouverture d’esprit, la tolérance. L’ouverture d’esprit du philosophe est une disposition à accepter la contradiction et l’altérité, à respecter la différence. Savoir mourir c’est presque la même chose que « apprendre à vivre », car il consiste à se mortifier et à cultiver la maîtrise de soi qui nous dispose à une vie ascétique capable de produire l’ataraxie. Au regard de cette dimension de la philosophie, elle semble être une propédeutique à la vie plutôt qu’un frein à celle-ci.
Que retenir en fin de compte du rapport problématique de la philosophie à la vie ?
Il semble que la réponse à la question de savoir si la philosophie constitue un frein à la vie soit tributaire des sens qu’on donne aux mots philosophie et vie. La philosophie a un sens technique et classique différent de celui vulgaire. Dans l’antiquité les écoles de philosophies étaient de véritables écoles de la vie, mais le sens commun ne retient de la philosophie que son aspect méditatif et spéculatif. Considérée du point de vue méditatif, la philosophie peut effectivement apparaître comme un obstacle à la vie. Cette notion de vie étant ambiguë, son rapport avec la philosophie ne peut manquer d’être ambigu. Mais même dans son allure austère, la philosophie ambitionne de nous aider à mieux vieux, c’est-à-dire à atteindre une vie bonne.
Sujet : Pour une culture, s’ouvrir est-ce se perdre ?
Notre époque est caractérisée par une extrême mobilité des hommes, des biens et des services. Mondialisation oblige, les États sont contraints de s’ouvrir aux capitaux, et au flux des biens et services. Cette ouverture des États peut-elle laisser indemnes les cultures ? Se demander si pour une culture, s’ouvrir c’est se perdre, c’est admettre implicitement que les cultures sont conservatrices, jalouses de leur identité. Si la culture est toujours spécifique, cette spécificité peut-elle être sauvegardée dès lors qu’il y a contact avec d’autres cultures ? Les cultures sont-elles condamnées à disparaître dans cette ouverture au profit d’une culture universelle ? Mais dans un monde où tout bouge, l’identité peut-elle être statique ? N’est-ce pas que c’est dans le dynamisme que se construisent l’identité et la personnalité de chaque culture ?
Thèse
Ce que les faits montrent, c’est que les pays d’immigration sont frileux voire angoissés par l’immigration des cultures par le fait des étrangers qu’ils accueillent. Les communautés s’installent dans les pays hôtes avec leur culture, ce qui suscite souvent des sentiments de xénophobie et, par ricochet, des attitudes communautaristes. Ce que ces conflits révèlent en général, c’est la peur de l’étranger par réflexe ou « instinct » d’autoconservation. Il est probable que ce soit davantage la peur de perdre son identité que la haine de l’autre qui provoque ces conflits.
Les pays se barricadent en prétextant des raisons sécuritaires ou des logiques économiques incompatibles, mais la vérité est que le repli identitaire y est pour beaucoup. Le problème fondamental est que chaque culture a un projet d’humanité, une conception de ce que l’homme doit être. Et en fonction de son projet d’« humain », chaque culture invente ses valeurs, ses croyances, bref sa vision du monde. Le principe du relativisme culturel est par conséquent tellement établi dans la réalité humaine qu’aucune culture ne saurait facilement s’accommoder aux exigences d’une autre sans se perdre.
Comme dans la dialectique du maître et de l’esclave chez Hegel, il y a inégalité entre les cultures dès lors qu’une d’entre elles accepte d’être la « conscience » (culture) reconnaissante de l’autre qui devient de facto celle « reconnue ». On n’a pas besoin de se perdre dans une méditation spéculative pour le prouver : la colonisation des pays africains a quasiment ébranlé les référents culturels locaux. Tout le substrat culturel trouvé sur place a été nié. En parlant la langue du colon, en pratiquant sa religion, on cesse d’être ce qu’on était. La problématique de l’aliénation culturelle est perceptible jusque dans les revendications et les stratégies de revalorisation de la culture du dominé. Extraverti, l’ancien colonisé l’est jusque dans ses pensées les plus émancipatrices.
L’ouverture est toujours risquée quel que soit le gain escompté ou obtenu ; et c’est valable aussi bien pour les individus que pour les cultures. Il n’est pas d’aventurier qui ne court le risque de s’égarer. Sous ce rapport, la porosité extrême ébranle l’être, elle dissout l’identité dans le flot des emprunts. L’image de la surabondance de la nourriture pourrait illustrer ici les effets pervers de la tolérance excessive : l’obésité qui résulté de la surconsommation inhibe tout dynamisme, toute efficacité.
Bref, de même qu’un chef de famille aura du mal à inculquer à ses enfants l’éducation qu’il souhaite s’il laisse sa maison envahie de toute part, une culture sans barrière est victime de sa propre ouverture. Faut-il alors opter pour l’exclusion et l’autarcie ?
Antithèse :
Vivre replié sur soi est, aussi bien pour les individus que pour les cultures, un manque à gagner, voire un danger. Á l’image de tous les arbres profondément enracinés dans le sol pour mieux s’ouvrir au ciel, les cultures qui font la promotion de l’enracinement de leurs citoyens ne devraient pas redouter l’ouverture. Senghor avait raison de théoriser, à la suite de Teilhard de Chardin, l’enracinement et l’ouverture. « Tout ce qui monte converge » disait le second et il semble que l’histoire lui ait donnée raison. Le monde est tellement globalisé qu’il n’existe plus de culture pure, non métissée. Les emprunts linguistiques nous montrent que le métissage n’est pas un suicide pour les métissés. Le métissage linguistique d’un pays comme le Sénégal est probablement un des facteurs de tolérance et de la paix qui font la spécificité de ce pays.
S’ouvrir pour une culture, c’est comme pour une langue, s’enrichir. Selon le poète sénégalais Amadou Lamine Sall, Senghor aimait répéter que quand deux cultures se rencontrent, elles commencent par se combattre, mais elles finissent toujours par se métisser. Ici comme dans la dialectique du maître et de l’esclave chez Hegel, l’inégalité des positions finirait par néantiser la reconnaissance que le maître exige de l’esclave. Le premier comprend vite que seule une conscience de soi libre (son alter ego) pourrait lui révéler sa propre essence. C’est donc dans la reconnaissance mutuelle qu’il y a une véritable connaissance de soi.
L’ouverture n’est donc nullement incompatible avec l’identité, la personnalité propre. La véritable inculture, la vraie pauvreté, résident dans le repli identitaire. Sartre disait fort justement : « je ne suis ce que je suis qu’à condition que les autres me le reconnaissent ». Sans autrui, l’étranger, le lointain, nous n’avons aucune certitude de la valeur de notre être : il n’y a personne pour nous le révéler. Mais pour que les autres me reconnaissent, il faut d’abord que j’accepte qu’ils soient autres, c’est-à-dire différents ; et ensuite que je supporte le face-à-face. Dans ce sens précis on pourrait risquer la formule ; s’ouvrir pour une culture, loin de se perdre, c’est être, exister, persévérer. Mais alors pourquoi tant de peine et de réticence des cultures à s’ouvrir, et comment y remédier de façon durable ?
Synthèse
S’ouvrir, c’est ne plus être strictement ce qu’on était, car tout métissage est une métamorphose. Pour les cultures, le réflexe de survie et d’autoconservation constitue une barrière. Mais puisqu’elles sont toutes imparfaites, c’est faire preuve de sagesse de leur part que de s’ouvrir afin de se parfaire. Le problème fondamental que soulève finalement la question « pour une culture, s’ouvrir est-ce se perde ? », c’est la question de l’identité dans le devenir, mais aussi celui de l’unité dans la diversité. Rapporté à la culture, ce problème nous invite dès lors à redéfinir, à repenser ce qu’est réellement une culture. Si au niveau de l’individu, un homme cultivé est celui qui refuse d’être prisonnier de sa culture d’origine et qui fait l’effort d’aller vers les autres cultures pour se bonifier, il en est de même pour les cultures. La véritable identité n’est pas statique, elle est plutôt relationnelle, dynamique, voulue. Sans différence, aucune identité n’est possible, car sans mouvement aucun organisme ne vit sainement. La culture est par essence un lieu de pluralité et, par conséquent, d’interactions : dans un même pays plusieurs cultures se côtoient et s’enrichissent mutuellement. Sans ce dynamisme et cette ouverture la culture humaine, dans son ensemble, s’évanouirait dans une monotonie mortelle.
Croire empêche-t-il de raisonner ?
La croyance n’a pas bonne presse dans le cadre de la quête de la connaissance en général et dans la philosophie en particulier. Se demander si croire empêche de raisonner, c’est naturellement présupposer un conflit entre les deux : est-ce légitime ? Le poids du passé de l’humanité avec sont lot d’atrocités commises au nom de la croyance n’est certainement pas étranger à cette dévalorisation de la croyance. Depuis que la raison s’est libérée des ténèbres de l’obscurantisme, elle est devenue frileuse à l’égard de la croyance. Si croire, c’est tenir pour vrai, sans preuve a priori, n’est-ce pas évident qu’il est un obstacle à la réflexion ? Mais croire empêche-t-il toujours de raisonner ? Raisonner, n’est-ce pas refuser de se fier aux croyances, à l’opinion et à tout ce qui ne peut être établi par la raison ? Se pourrait-il que, tout en croyant, on continue à raisonner, à douter, à réfléchir ?
Thèse : La croyance est très souvent perçue comme le refuge de l’ignorance et de la paresse intellectuelle ou du refus de penser.
-Si croire c’est tenir pour vrai, toute croyance repose sur l’ignorance : on croit parce qu’on ne sait pas, on croit et on s’en tient à sa croyance. Stuart Chase, concepteur du plan Marshall a dit : « Pour ceux qui croient aucune preuve n’est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas aucune preuve n’est possible ». Ce propos montre clairement l’inutilité de la motivation dans la croyance alors que le savoir doit toujours reposer sur des raisons, des arguments. Raisonner, c’est forcément refuser de croire, briser les certitudes, aller contre l’opinion. Croire, c’est au contraire mettre la raison en congé. La superstition, c’est-à-dire croyance à des présages bénéfiques ou maléfiques inhérents aux choses, est un véritable obstacle épistémologique. On ne peut faire la philosophie et la science lorsqu’on est englué dans le piège des superstitions.
-La croyance religieuse repose sur le dogme et la révélation, or le dogme exclut le savoir et la réflexion puisqu’elle est une vérité ou une opinion hors de toute discussion. La révélation implique un aveu d’impuissance de la raison à expliquer le mystère de l’existence. On comprend dès lors pourquoi dans l’antiquité et dans le Moyen Âge l’obscurantisme a persécuté les scientifiques et les philosophes : la croyance s’accommode mal avec la réflexion et la recherche du savoir. Personne ne peut mesurer les torts que la suprématie de la foi sur la raison a portés à l’humanité dans sa quête du savoir. Partout la pesanteur des croyances a été du plomb dans les ailes de l’esprit humain, parce que la croyance est une démission de la raison, un mépris de celle-ci. « C’est un mystère », « c’est au-dessus de la raison » : de telles expressions ont longtemps empêché le décollage de la raison.
-La croyance du fanatique est une parfaite illustration du danger que représente la croyance pour la réflexion. Parce qu’il est totalement dévoué à sa vérité, à son dogme ou à sa doctrine, le fanatique est fermé à toute forme de discussion et s’enfonce dans l’intolérance. Or le propre de l’homme, c’est de penser et de confronter ses pensées avec celles de ses semblables. Dès qu’on s’enferme dans ses convictions on perd en partie sa qualité d’être rationnel, car la raison n’a d’autre moyen d’éprouver ses pensées que dans le débat contradictoire. Parce qu’il croit posséder la vérité le fanatique a renoncé à sa recherche et se condamne ainsi dans un solipsisme qui ne fera que l’écarter des chemins qui mènent à celle-ci. C’est précisément pour cette raison que le philosophe français Alain disait que « croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix ». Il ne faut donc jamais croire ; c’est ce que la philosophie et la science nous inculquent comme vertu fondamentale dans la recherche. Sans le doute qui est le levier de toute pensée rationnelle, aucune connaissance sérieuse ne peut être bâtie. Or douter, c’est justement s’abstenir de croire, car c’est examiner, mettre en question.
-Le propre de la croyance, c’est d’inhiber la pensée. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si les pays les plus avancés dans l’acquisition de la science et de la technique, gages du développement, sont ceux où les chaines de la croyance ont été très tôt brisées. Par contre, les pays où la croyance continue de rythmer l’essentiel de la vie sociale, sont très en retard sur le plan de la science et de la technique. On n’aurait jamais pu penser la liberté, l’égalité et la démocratie sans les Lumières du XVIIIe siècle. Il a fallu renverser l’obscurantisme pour libérer l’esprit scientifique et permettre la révolution scientifique et industrielle. L’on retiendra donc que la croyance, qu’elle soit simple supposition, dogme ou superstition, constitue une entrave à la libre expression de la raison.
Cependant, celui qui raisonne ne croit-il pas en la raison ? Croire est-il finalement antinomique à toute forme de réflexion ?
Antithèse
-Le philosophe se définit avant tout comme un rationaliste : il a foi en la raison et en la capacité de celle-ci à comprendre le réel. En science, lorsque la croyance correspond à une hypothèse, le fait de croire ne nous empêche pas forcément de raisonner. L’expérimentateur, croit d’une manière ou d’une autre à son hypothèse qu’il cherchera à « vérifier » par les faits. Le scientifique, rationaliste à souhait, croit en la science ; et loin d’être une entrave au raisonnement, cette croyance le stimule et le justifie. On pourrait d’ailleurs se demander si la science serait encore possible si le chercheur ne croyait pas en l’objectivité de ses théories.
-Mieux, la croyance semble même subsister à l’intérieur de la recherche scientifique. On sait, en effet, que les théories scientifiques qui constituent des modèles ou références que TH Kuhn appelle les paradigmes peuvent fonctionner souvent comme des obstacles épistémologiques. Les paradigmes sont des habitudes, voire des croyances scientifiques : c’est ce qui fait que quand des théories révolutionnaires apparaissent, elles sont a priori rejetées pour non-conformité aux paradigmes. Pourtant, sans la foi aux paradigmes, l’activité scientifique ne serait plus possible, elle serait une anarchie intellectuelle.
-En mathématique par exemple, on sait que les postulats, les axiomes demandent qu’on leur fasse « foi », c’est-à-dire qu’on les accepte pour que la démonstration soit possible. Les prémisses du raisonnement mathématique ne sont donc pas démontrées ni même démontrables. Ce sont les conséquences logiques qu’elles permettent qui sont démontrées. Ainsi, certains éléments d’Euclide qui servent de base à de nombreuses démonstrations géométriques ont simplement été acceptés de manière arbitraire, alors qu’on aurait pu en choisir d’autres autres. Aussi, le mathématicien Riemann a-t-il créé une géométrie qui trouve des applications (notamment dans la théorie de la relativité générale) en se basant sur un postulat opposé à celui d’Euclide (celui qui affirme que, par un point extérieur à une droite, on ne peut tracer qu’une droite parallèle).
-Même la croyance religieuse n’exclut pas fondamentalement la pensée : le croyant qui connaît le caractère douteux de sa croyance, peut continuer ses investigations. Et comme l’explique Averroès, « la vérité ne saurait contredire la vérité », or le fait de raisonner est explicitement recommandé par le saint Coran. Même dans la parabole biblique « si vous ne croyez pas vous ne pourrez pas comprendre » (cf. Is 7, 9), c’est la raison qui nous « conseille » et nous « convainc » de croire pour comprendre. Aussi, écrit Saint Augustin : « il n’est pas douteux que la raison même qui nous le persuade précède elle-même la foi : ainsi il y a toujours quelque raison qui marche devant » (Lettre 120). La croyance ne nous empêche donc pas toujours de raisonner, de chercher la vérité : il est toujours possible, pour un croyant, de continuer à s’interroger sur la vérité de sa position et sur les problèmes qu’elle implique.
Synthèse : La croyance serait-elle alors une modalité de la raison ?
-C’est probable que nous soyons victimes de la dictature de la rationalité cartésienne au point de réduire la raison à sa forme philosophique et scientifique. En tout cas, le fait de croire est déjà une exclusivité humaine, ce qui laisse penser que la croyance n’est peut-être pas si éloignée de la raison que le laisse croire l’opinion. La synonymie entre les expressions « je crois » et « je pense » n’est certainement pas dénuée de raison : bien souvent quand nous disons « je crois que », c’est pour signifier « je pense que ». Ce que nous pensons n’est très souvent qu’une simple croyance et ce, non pas que nous y adhérons sans réflexion, mais parce que nous n’avons que très rarement les preuves irréfutables et absolues de nos pensées. Avons-nous vraiment d’autres critères de certitude que la foi que nous avons en nos raisonnements ?
-La question ou la difficulté ultime qui est posée ici est finalement notre rapport à la vérité. Il se pourrait que ce que nous appelons péjorativement croyance ne soit qu’une autre forme de balbutiement de la raison. Les superstitions sont irrationnelles, mais certaines d’entre elles contenaient des atomes de vérité. La superstition qui met une relation entre les vents et les maladies épidémiques n’est pas totalement fausse, scientifiquement parlant. Qui peut dire avec certitude que cette croyance n’a été d’aucun secours dans la recherche rationnelle des causes des épidémies ?
– Dans la magie comme dans le mythe, nous sommes dans la sphère de la croyance : pourtant même si la science a supplanté ces connaissances appelées « esprit prélogique », il n’est pas exagéré de penser qu’elles l’ont préparée. La rationalité prométhéenne est suggérée dans ces formes de croyance, car le souci de comprendre, d’organiser le réel et de le transformer est à la base et du mythe, et de la magie.
La liberté est-elle limitée par la nécessité du travail ?
C’est le désir de paresse qui nous rend besogneux disait Rousseau pour suggérer que l’homme ne se soumet pas volontiers au travail. En tant que transformation consciente de la nature à des fins utiles, le travail s’impose à l’homme comme la voie indispensable à sa survie. On comprend dès lors l’intérêt à la fois philosophique et social de la question : la liberté est-elle limitée par la nécessité du travail ? Les termes « liberté » et « nécessité » sont a priori antinomiques, mais ils traduisent notre rapport ambivalent avec le travail, car travailler, c’est souffrir dans le labeur pour satisfaire ses besoins vitaux. Il y aurait donc une difficulté à concilier le désir de liberté et la nécessité du travail. Mais si l’on travaille pour son bien-être, le travail ne traduit-il pas en fin de compte le désir de liberté ? Si le travail est une fatalité pour l’homme, n’est-il pas en même temps un moyen pour l’homme d’infléchir son destin ?
Schéma
Thèse :
Le travail est à la fois une nécessité vitale et une obligation sociale. En tant que tel, il réduit voire annihile la liberté humaine.
– En travaillant, l’homme se soumet en quelque sorte à la nécessité naturelle : il doit produire les moyens de sa propre subsistance. Ce n’est donc pas un hasard que l’esclavage fut institué pour affranchir certains hommes de la nécessité du travail. Il y a de la contrainte, de la peine dans l’acte de travailler, or la liberté est définie comme absence de contrainte. Annah Arendt n’a d’ailleurs pas tort de penser que ce n’est pas le travail, mais plutôt l’art qui nous distingue véritablement des animaux. Le travail nous rattache encore à la sphère de l’animalité, car on travaille pour produire et on produit pour consommer : donc un acte purement animal.
-Le travail est surtout une obligation sociale. En effet, la division sociale et technique du travail, laisse très peu de choix au travailleur sur les règles et procédés du travail. Pire, certaines formes du travail sont dites aliénantes voire infamantes : le travail forcé, et celui de l’ouvrier sont non seulement accablants, mais aussi avilissants. Le travail aliéné et aliénant finit par faire des ouvriers de véritables déchets de la société.
– Le travail est devenu tellement nécessaire pour acquérir le minimum de respect que ceux qui sont dans le chômage sont déconsidérés et à la limite marginalisés. Cette mythification du travail est dans ce sens le moyen le plus efficace de dompter l’homme moderne. Nietzsche avait donc raison de dire que le but caché de la moralisation excessive du travail était de domestiquer les forces dominatrices chez l’homme. Quand il dit que les sociétés dans lesquelles on travaille dur et en permanence auront davantage de sécurité, c’est pour ironiquement dénoncer la ruse des faibles, de la morale et des moralistes contre la volonté de puissance du fort.
Cependant, même si le travaillant est pénible, n’est-il pas l’expression d’une forme de libération ?
Antithèse :
– Contrairement à l’animal qui dépend exclusivement de ce que le nature lui offre, l’homme a le loisir et l’habileté de produire lui-même les moyens de sa propre subsistance. Par le travail l’homme imprime à la nature sa volonté et les formes qu’exige sa conscience.
– Mieux, le travail est formateur, car en travaillant l’homme apprend au moins à freiner ses désir, à planifier sa consommation et par conséquent à cultiver son humanité. Georges Bataille a donc raison de considérer le travail comme un refus de l’animalité. Le travail humanise en développant les facultés morales et intellectuelles, or il n’y a pas de meilleure façon de se libérer que la sagesse acquise par la connaissance et la morale.
-Le travail est la source d’épanouissement, de réalisation de soi. Hegel nous en donne une illustration allégorique à travers la dialectique du maître et de l’esclave. L’esclave est celui qui, par peur de mourir, a accepté le service qu’il doit au maître dont la jouissance est désormais entre les mains de son esclave. Mais en travaillant, l’esclave domine sa nature intérieure, développe la connaissance de la nature et finit par dominer celle-ci. C’est cette domination qui est la source de la civilisation dans laquelle le maître est désormais un étranger : l’esclave se libère donc en devenant dialectiquement le maître du maître. C’est là une belle illustration de la prophétie de Descartes selon laquelle par la science et la technique, l’homme devrait être comme maître et possesseur de la nature.
-Il faut dire d’ailleurs que la nécessité n’est pas toujours incompatible avec la liberté : l’acceptation du destin chez les stoïciens, la connaissance des lois de la nature et de l’histoire chez les rationalistes sont des exemples de liberté triomphante de la nécessité. La véritable liberté, c’est-à-dire le libre arbitre, n’est pas absence de contrainte : c’est dans le choix ou, pour parler comme Sartre, dans le PROJET que réside la liberté. « L’homme ne rencontre d’obstacles que dans le champ de sa liberté » dit Sartre. Le coefficient d’adversité et d’utilisabilité des choses ne se révèlent à nous que par et dans nos projets, d’où « le monde n’est que le miroir de notre liberté ».
Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ?
Si la culture est un fait universel, ses manifestations sont très variées et parfois même opposées. Une culture est donc toujours spécifique : ses pratiques, ses repères et ses sanctions sont relatifs. Pourtant l’histoire nous montre que certaines cultures ont prétendu en civiliser d’autres. La question « une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? » interpelle donc nos prétentions à régenter d’autres peuples ayant des cultures différentes. Il se pose ici un problème de légitimité et de cohérence philosophique : le relativisme culturel rend-il définitivement caduque la prétention d’une culture (par essence toujours spécifique) à produire des valeurs universelles ? Mais même si toute culture est relative, la raison qui crée ces cultures et ces valeurs n’est-elle pas universelle ? L’universalité formelle de la raison suffit-elle cependant à fonder la légitimité de la prétention qu’aurait une culture à porter des valeurs universelles ?
Thèse :
L’homme est un être rationnel, par la raison il crée des outils matériels (pour transformer la nature) et immatériels (pour façonner son idéal d’homme). Les outils immatériels sont les idées et valeurs par lesquelles la société et la culture forgent l’humanité. L’universalité de la raison semble donc être une piste intéressante à explorer pour savoir comment une culture peut porter des valeurs universelles. La raison nous dicte les valeurs du bien, de l’équité, du respect. La morale est l’univers dans lequel, malgré la diversité des culture, on retrouve des valeurs universelles. Kant formule les règles de l’impératif catégorique dont la première et plus célèbre est « agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle ». Il suffit d’être rationnel pour comprendre que le bien transcende toutes les cultures.
L’homme est un être libre : c’est sa liberté qui est à l’œuvre dans la créativité par laquelle des cultures et des valeurs diverses sont créées. C’est pourquoi le respect de la propriété intellectuelle et la tolérance sont des valeurs universelles qu’on devrait en principe retrouver dans toutes les cultures. C’est le respect de la différence qui rend possible dialogue des cultures, l’échange et la communication sans lesquels nous serions déchus notre humanité. La liberté est par conséquent une valeur universelle qu’aucune culture ne devrait nier sans se nier elle-même.
On entend dire que la France est la patrie des droits de l’homme, or ceux-ci sont des valeurs universelles. Pourtant bien avant la Révolution française de 1789, en Afrique au XIIIe siècle déjà, les même droits étaient proclamés par la charte du Mandé. Ces deux cultures sont très distantes et pourtant elles ont permis la conception de valeurs identiques comme par une sorte de communion intellectuelle et morale. Si donc les philosophes des Lumières, les chasseurs du Mandé et des hommes politiques propres à une culture et à une époque donnée ont pu forger des valeurs aussi élevées, c’est la preuve qu’une culture peut porter des valeurs universelles.
Les grandes religions révélées se sont propagées au détriment des religions non révélées parce qu’elles ont porté et véhiculé des valeurs universelles.
Cependant l’universalité formelle de certaines valeurs suffit-elle à dire qu’une culture spécifique est porteuse de valeur ?
Antithèse
Le relativisme culturel s’oppose en principe à la possibilité matérielle et logique pour une culture de porter des valeurs universelles, c’est-à-dire, valables pour tous les hommes
Les valeurs sont des qualités, des idées des normes servant à la fois de boussoles et de mesures d’évaluation aux conduites individuelles et collectives. Le principe du relativisme culturel veut que chaque culture a des valeurs qui lui sont spécifiques, car elles sont des moyens pour elle de réaliser son idéal d’humanité. L’expérience montre qu’il y a, d’une culture à l’autre, très souvent des valeurs qui se contredisent. La raison transcende les cultures, mais elle en est encore tributaire. L’impérialisme de certaines cultures a donné l’illusion qu’elles étaient porteuses de valeurs universelles. Cette prétention donna libre cours à toute sorte de mégalomanie et à toutes les dérives racistes ou coloniales. Le concept même de civilisation charrie une dose de prétention et de mépris à l’égard de sociétés présumées primitives. Le relativisme nous incline à la modestie et au respect de la différence. Or le respect de la différence devrait nous déconseiller de croire que notre culture est porteuse de valeurs universelles. Cette prétention ne fait que diviser les hommes en les opposant en permanence sur des questions de suprématie et de préséance.
Claude Lévi-Strauss dont les travaux ont beaucoup servi à l’Unesco a expliqué les attributs de la culture sont le normatif et le relatif : par conséquent l’universalité ne saurait être décrétée dans le domaine de la culture.
Il faut par ailleurs noter que ce n’est pas parce qu’une culture a réussi à imposer ses valeurs que celles-ci sont de facto universelles. Il y a bien une différence entre universalisation et universalité : l’universalisation est le fruit d’une conquête, c’est un fait ; là où l’universalité est un principe.
L’art ne doit pas mourir, car la vie serait cruelle. Qu’en pensez-vous ?
Sujet : L’art ne doit pas mourir, car la vie serait cruelle. Qu’en pensez-vous ?
Défini comme expression d’un idéal esthétique par des œuvres humaines voulant donner le sentiment du beau, l’art est intimement lié à la vie sociale. Des peintures rupestres sur les grottes de la préhistoire à l’art engagé, l’histoire de l’art et celle des hommes se confondent. C’est dire donc si l’art occupe une place importante dans la vie des hommes comme le suggère cette affirmation : l’art ne doit pas mourir, car la vie serait cruelle. L’art est crédité d’être un remède à la cruauté de la vie. La cruauté renvoie à ce qui est moralement ou physiquement douloureux, or l’art cherche à nous ravir, mais le réussit-il toujours ? La beauté artistique est-elle vraiment suffisante pour purger la méchanceté, la férocité et la misère contenues dans le vie ? Cet optimisme sur la fonction rédemptrice de l’art n’est-il pas contredit par l’omniprésence de la violence dans nos sociétés pourtant si friandes d’art ?
Schéma
Thèse :
La musique adoucit les mœurs a-t-on l’habitude de dire pour suggérer que le plaisir que procure la musique permet de congédier la violence ainsi que la douleur inhérente à la vie humaine.
– On sait que l’art éduque, conscientise et éveille les esprits : la littérature, la musique et les arts plastique sont de puissants leviers pour purger une partie de la violence et des passions négatives contenues en nous. L’art crée l’agréable, le plaisir, voire le bonheur. Par la puissance de l’imaginaire, l’art brise les limites du réel, transporte l’homme dans le monde de la fiction et du fantasme où aucune limite n’est opposable. Nietzsche considère à juste titre l’art comme l’illusion joyeuse qui rend la vie quand même possible. Il n’y a pas de meilleur remède contre l’ennui que l’art : c’est dire donc combien la vie serait insupportable sans l’art.
-La beauté des couleurs et des formes produites dans l’art donne sens et goût à la vie. Face à la laideur du monde et à la cruauté d’une compétition impitoyable, l’art nous offre des instants de communion et de paix. L’art est selon Freud un moyen de sublimation de désirs inconscients parmi lesquels, l’impulsion à la violence. Sans la sublimation certains artistes seraient devenus peut-être des pyromanes. Les artistes sont souvent appelés à dénoncer nos mœurs légères et nos dérives : ils peuvent donc être considérés comme des leaders d’opinion capables d’infléchir la pente décadente de nos mœurs. L’absurdité de la vie est telle que seul l’art (en tant qu’univers de formes et de valeurs) peut sauver l’homme du désespoir et de la mélancolie. Schopenhauer avait vu juste en affirmant que ce n’est pas seulement la philosophie, mais ce sont encore les beaux-arts qui travaillent à résoudre le problème de l’existence. C’est vrai que les arts mécaniques et les arts libéraux contribuent à alléger le poids de la vie, mais les arts plastiques semblent plus populaires et donc plus accessibles au public.
Antithèse :
Cependant l’art ne détourne-t-il pas du sérieux de la vie ? Le plaisir qu’il procure et l’évasion qu’il permet ne sont-ils pas une façon de se dérober face à la nécessité de l’action ?
-Platon accusa les peintres et les poètes d’être en général des imposteurs, des illusionnistes qui nous présentent des simulacres de beauté et nous détournent ainsi de la méditation susceptible de nous mener aux archétypes. En le parodiant on pourrait dire que les artistes complotent avec les forces de domination pour nous cacher la laideur et l’injustice dans le monde. En effet, l’art attache l’âme aux frivolités mondaines et la soustrait à la méditation qui est sa vraie vocation. La méditation qui assure le bonheur sans luxure ainsi que la santé de l’âme et du corps est parfois interdite par les délices superficiels qu’inspirent certains types d’art.
-L’art peut pervertir les mœurs en s’exprimant comme une propédeutique à la violence. Le cinéma et le rap véhiculent une violence incompatible avec l’éducation à la paix. Sous ce rapport, au lieu de compter sur l’art pour lutter contre la cruauté de la vie, on devrait plutôt investir le domaine de la religion ou celui de la philosophie. La cruauté de la vie ne saurait être efficacement combattue tant que la pauvreté et l’exclusion rythmeront notre vie. Il faudrait peut-être voir du côté de la science pour combattre le mal de l’existence. L’art ne fait que nous consoler face à la tragédie de l’existence, il reste impuissant face à l’horreur de la mort, à la souffrance physique du malade et à la faim qui asphyxie les pauvres.
– Il faut d’ailleurs dénoncer la violence qui caractérise aujourd’hui le monde du showbiz : la compétition y est tellement impitoyable que des vies sont brisées, des carrières anéanties. L’adversité y est d’une cruauté telle que des meurtres de toute sorte (vengeance, règlement de comptes) y sont notés. La pornographie, certaines scènes de théâtre ainsi que certains genres littéraires sont des sources de déperdition pour l’homme. Quand l’alcool se mêle au sexe, la violence rôde toujours dans les alentours.
La philosophie ne nous permet pas de vivre bien, elle nous forme plutôt à bien vivre. Qu’en pensez-vous ?
Problématisation du sujet
Les expressions « vivre bien » et « bien vivre » n’ont aucune différence dans l’opinion commune parce qu’elle met l’accent sur le terme « vivre » et non sur le concept e « bien ». Le philosophe par contre met l’accent sur le terme « bien ». Les termes « permettre à » et « former à » renvoient également à une opposition de style entre le sens commun (utilitariste à souhait) et le philosophe (adepte de l’effort personnel). Mais si la philosophie ne nous permet de vivre bien, peut-elle réellement nous former à bien vivre ? Y a-t-il finalement une différence fondamentale entre bien vivre et vivre bien ? La philosophie a-t-elle d’ailleurs les moyens de tenir sa promesse de nous former à bien vivre ?
Thèse : La philosophie propose rarement des solutions, elle se contente plutôt de forger l’esprit et le caractère de ceux qui s’y exercent. Elle les incite à trouver eux-mêmes les solutions aux questions que tout homme se pose et les remèdes aux maux de la vie. En tant que quête ou amour de la sagesse, la philosophie façonne l’homme et l’incite à réfléchir sur l’énigme de la vie ainsi que sur les principes rationnels qui doivent guider l’homme. La notion de sagesse renvoie à un double idéal : idéal théorique et idéal éthique ; façon de penser et art de vivre. Tandis que le commun des mortels s’acharne à accumuler les richesses et les autres biens de la vie, espérant par ce moyen vivre heureux, le philosophe par contre démythifie cet aspect matérialiste de notre existence. La philosophie s’est, dès le début, voulue un art de vivre étroitement lié à un art de penser. André Comté-Sponville a dit que « philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée. » Cela suggère que la philosophie est inséparable de la vie : le philosophe réfléchit sur la vie et tente d’organiser sa vie selon sa conception philosophique. Art de penser et art de vivre ne font qu’un en philosophie. Comte-Sponville parle de « vivre mieux » et cette expression permet de mieux discerner la différence entre « bien vivre » et « vivre bien ». La droiture, la vérité, la dignité, la sobriété sont quelques principes qui régissent la vie du philosophe. La philosophie est, sous ce rapport, un art de vivre étant entendu que l’art est une activité qui requiert du génie, de la créativité : le génie du philosophe est justement de toujours savoir « tirer son épingle du jeu ». En effet, quelles que soient les circonstances de la vie, le philosophe a la faculté de vivre dans la dignité et le bonheur. Cela veut dire donc que pour le philosophe le bonheur ne réside pas dans l’avoir, mais dans le savoir et l’être. La plupart des adversaires de la philosophie lui reprochent de ne pas améliorer nos conditions d’existence, mais c’est justement parce qu’ils ignorent sa vocation. Les délices de la vie, les frivolités mondaines, les plaisirs charnels sont des sources de trouble et c’est pourquoi le philosophe s’en détache. Platon disait que philosopher c’est apprendre à mourir du corps : cela veut dire que le corps en tant que lieu des sens et des désirs aveuglent l’âme et l’empêchent d’avoir la sérénité. Pour philosopher, pensait Platon, on doit s’affranchir du corps car celui-ci est « le tombeau de l’âme ». Cela veut dire que le corps est une pesanteur qui emprisonne l’âme, l’étouffe et l’empêche de connaître. Ce n’est donc pas exagéré de penser comme Jankélévitch que certes « on peut vivre sans philosophie, mais tellement moins bien ! ». Bien vivre c’est donc vivre selon la norme du bien, alors que vivre bien c’est entretenir le penchant à ce qui est communément appelé « le bien-être » et qui, en réalité, n’est qu’épanouissement matériel. La philosophie est une quête d’une sagesse qui devrait extirper l’homme des malheurs de l’existence. Les sagesses post-socratiques comme le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme étaient des écoles de vie qui promettaient l’ataraxie c’est-à-dire, la paix de l’âme, l’absence de souffrance ou l’absence de trouble. Zénon de Cittium, le fondateur du stoïcisme, proposait un eudémonisme, c’est-à-dire une doctrine du bonheur dont le credo était « supporte et abstiens-toi ». Cela revient à adhérer au destin qu’on découvre comme étant rationnel : la vie de la nature est animée par l’âme divine, donc elle est rationnelle et bonne. Le sage doit donc vivre conformément à la Nature. Épicure également nous propose un hédonisme, c’est-à-dire une doctrine du Plaisir qu’il considère comme la finalité de la vie. Mais le sage doit distinguer les vrais plaisirs (ceux qui ne sont pas suivis de déplaisirs) et les faux plaisirs (ceux qui sont fugitifs et suivis de déplaisirs). Le sage est celui qui ne cherchera que les vrais plaisirs à savoir ceux qui sont à la fois naturels de nécessaires, d’où la maxime épicurienne « un peu de pain pour manger, un peu d’eau pour boire et un peu de paille pour dormir ». Le sceptique aussi propose, par son doute, une véritable propédeutique du détachement.
Antithèse : Cependant la prétention de la philosophie d’être une propédeutique à bien vivre ne cache-il pas son impuissance à changer l’ordre du monde ?
Le problème fondamental de la philosophie est le sens de l’existence : sens au sens de signification bien sûr, mais également sens au sens de direction à donner à notre existence. Dans la spéculation comme dans la vie ascétique, le philosophe cherche à élucider les énigmes de la vie. Ces énigmes sont certes théoriques, mais elles sont avant tout d’ordre pratique. La philosophie peut prétendre former à bien vivre, mais sa nature incertaine et antagoniste semble lui ôter toute crédibilité. Confier le sens de sa vie à la philosophie est, sous rapport, un choix aussi risqué que celui du parieur. Les recettes proposées par les philosophes sont, en effet, tellement opposées que c’est déjà demeurer dans le trouble que de vouloir trouver la meilleure d’entre elles. Il se pourrait d’ailleurs que la dichotomie faite entre « bien vivre » et « vivre bien » soit une sorte morale de faibles comme le suggère Nietzsche. C’est probablement parce que la philosophie est fondamentalement incapable de changer le monde qu’elle se réfugie derrière ce principe du « bien vivre ». Nietzsche parle de Socrate comme d’un théorétique, c’est-à-dire quelqu’un qui est fasciné par une vérité désintéressée, une spéculation détachée de la pratique alors que l’essence de l’homme est justement de s’intéresser et sa vocation d’agir. Nietzsche voit à travers Socrate la figure du philosophe dont l’impuissance réelle condamne à s’évader du monde réel des hommes pour un monde imaginaire. L’élan philosophique serait donc l’expression d’une volonté de puissance décadente, c’est-à-dire la volonté des faibles de régner dans la vie effective en convertissant la faiblesse en force. L’effort de tout philosophe est d’aboutir à une sagesse, or le sage est avant tout celui qui sait assurer son bonheur par la connaissance théorique qu’il a des choses et de la vie. C’est vrai que le bonheur du philosophe n’est pas celui des mondains, mais un nietzschéen rétorquera que celui qui tourne le dos à la mondanité ne fait preuve que d’une prudence qui montre son incapacité à faire face à la réalité. La prudence du philosophe, sa sobriété, bref son ascétisme n’est qu’une ruse pour échapper à la tragédie de l’existence : la vie est faite de plaisirs mêlés à des désirs inassouvis, de réussites et d’échecs, de joies et de peines. La véritable sagesse devrait donc consister dans le courage consistant à faire face à la réalité pour lui imprimer sa volonté. Stoïciens, épicuriens et sceptiques ont tous le même objectif : extirper l’homme des souffrances et lui permettre d’avoir la paix de l’âme. Celui qui prend la résolution de « changer sa volonté plutôt qu’à changer l’ordre du monde » ne montre pas la voie du progrès : il appelle à la résignation, au désistement par impuissance. Celui qui proclame que la vie est trop courte pour permettre une vie joyeuse, est comparable à celui qui, par peur de se noyer, prétend que la nage est mauvaise. Vivre de manière ivre comme Dionysos dans la mythologie grecque c’est accepter que l’homme doit forger sa propre vie pour qu’elle soit une œuvre. Dans la vie comme dans l’art, il ne saurait y avoir d’étalon parfait, de règles figées à reproduire indéfiniment. La science, incarnation de la rationalité prométhéenne, nous montre la voie de l’action et de l’engagement constant de l’homme à faire de la nature à la fois un moyen et un cadre d’épanouissement de l’homme. Les valeurs sont nécessaires à la vie humaine, mais ce serait une erreur de vouloir régler sa vie exclusivement par des valeurs. Avoir des ambitions et se donner les moyens pratiques de les réaliser : telle est la meilleure façon d’aller vers le bonheur. Vivre bien n’est, dans ce cas, que l’expression virile, la forme décomplexée du « bien vivre » du philosophe.
L’homme peut vivre sans science, mais il ne peut se passer de la philosophie. Qu’en pensez-vous ?
Problématique :
Le rapprochement entre philosophie et science prend des contours divers mais la constante est qu’elles sont généralement opposées. Il s’agit ici d’une opposition entre le caractère nécessaire de la philosophie à celui non nécessaire de la science dans la vie humaine. L’homme peut se passer de science, mais non de philosophie : une telle affirmation n’est-elle pas paradoxale au regard des bienfaits que la science a donnés à l’homme ? Dire que l’homme ne peut se passer de la philosophie c’est suggérer que l’homme a toujours philosophé : une telle affirmation peut-elle être fondée dans l’histoire ? Sur quoi se fonde la nécessité de la philosophie ?
Thèse : La question préjudicielle qui doit être réglée pour savoir ce qui fonde la nécessité de la philosophie dans la vie est celle de la signification même de la philosophie.
Le caractère indispensable de la philosophie dans l’existence humaine ne peut être défendu que si l’on distingue la philosophie académique de la philosophie comme simple vision du monde. C’est que le mot philosophie est tellement polysémique et équivoque qu’elle renferme parfois celle de science, si elle n’en est pas tout simplement synonyme. La philosophie au sens technique et académique est une forme de pensée reposant exclusivement sur la spéculation sur les problèmes généraux de l’existence : elle est réservée à une élite. Cette philosophie entretenue par des spécialistes est à distinguer de ce qui est communément appelée philosophie spontanée. Celle-ci est profondément ancrée dans l’esprit humain et se définit comme l’ensemble plus ou moins conscient de connaissances, d’intuitions, d’opinions et même de croyances propres à un individu ou à un groupe et ayant pour but une compréhension complète du monde et le mode de vie y afférent. Cette philosophie est partout présente : des intuitions du chinois Confucius aux maximes du Sénégalais Köcc Barma, l’homme cherche des principes et des causes pour à la fois justifier son existence et lui servir de régulation. Cette philosophie a partout et toujours existé parce qu’elle est inhérente à la conscience que l’homme de son existence et à l’angoisse qui s’ensuit. Karl Jaspers a dit : « L’homme ne peut se passer de philosophie. Aussi est-elle présente, partout et toujours, sous une forme publique, dans les proverbes traditionnels, dans les formules de la sagesse courante, dans les opinions admises, comme par exemple dans le langage des encyclopédistes, dans les conceptions politiques, et surtout, dès le début de l’histoire, dans les mythes ». Cette omniprésence de la philosophie est la preuve de sa nécessité : l’homme est nécessairement porté vers des questions sur le monde et sur sa place dans celui-ci. Par contre la science définie comme l’ensemble des connaissances qui obéissent à des lois, qui découlent de la recherche et qui sont vérifiables par l’expérience, est une invention récente. Ce n’est vraiment qu’au 17e s siècle que la science s’est détachée de la philosophie au sens classique, c’est-à-dire celle pratiquée par des spécialistes. Dans beaucoup de localités, des sociétés, des tribus et des individus vivent sans avoir accès à la science et à ses produits. C’est vrai que notre modernité semble définitivement tributaire des innovations technologiques, mais il reste encore des exemples de mode de vie largement affranchis de la technoscience. Du moine bouddhiste à l’ermite soufi qui vit dans le désert retiré du monde sophistiqué régi par la science, nous avons des exemples de vie sans la science. Pourtant ce moine et ce soufi sont dans leur exil même en quête d’une certaine philosophie pour apaiser leur angoisse. Même l’enfant qui interroge ses parents sur la provenance du bébé, sur le « propriétaire » des étoiles et du ciel, fait de la philosophie. Bref dès qu’un homme prend conscience de lui-même et du monde, il commence à philosopher même s’il ne s’en rend pas compte. On pourrait donc emprunter à Gusdorf sa formule et considérer les questions philosophiques comme faisant partie « du paysage moral et intellectuel » des hommes. Quant à la science, elle est juste un moyen parmi d’autres que l’homme a mis au point pour rendre sa vie plus commode.
Antithèse : cependant cette dichotomie faite entre philosophie et science est-elle fondée ? Il est vrai que la philosophie est aussi vieille que l’humanité parce qu’elle est consubstantielle à la nature humaine, mais est-elle vraiment plus indispensable que la science?
Il faut d’abord préciser que cette notion de science est aussi polysémique que celle de philosophie. Le fait que dans l’antiquité grecque les deux notions ne furent guère utilisées distinctement n’est pas fortuit : l’esprit philosophique et celui scientifique ne sont pas fondamentalement étrangers l’un de l’autre. Thalès, Pythagore, Anaxagore, etc. n’étaient pas seulement des philosophes, ils étaient également mathématiciens, « physiciens », astronomes. C’est sans aucun doute le désir irrépressible de comprendre la nature qui les poussa aux recherches philosophiques. Et ce sont ces recherches qui donneront plus tard l’esprit scientifique. Il faut ensuite noter que dans les premières approches du réel, à savoir le mythe et la magie, la science est présente sous une forme, certes rudimentaire, mais réelle. Le mythe et la magie préfigurent l’esprit scientifique moderne même si la science, sous sa forme actuelle s’est construite en s’opposant à ces formes de connaissance. Claude Lévi-Strauss a, dans ce sens, expliqué qu’entre le mythe et la science, il n’y a pas une différence de nature, mais plutôt une différence de degré. Le déterminisme scientifique est sans aucun doute préfiguré dans celui de l’animiste qui croit au caractère infaillible de ses prédictions, de ses pratiques et de ses incantations. Le déterminisme est le principe selon lequel chaque chose a une cause et les mêmes causes produisent les mêmes effets : ce principe existe chez le magicien ne serait-ce que sous la forme d’une croyance. Si comme le dit H. Poincaré « la science est déterministe ou n’est pas », on peut valablement concéder à l’esprit magique une certaine parenté avec l’esprit scientifique. Or s’il est possible de dépister dans l’esprit magique les germes de la science, c’est la preuve que la science est dans une certaine mesure inscrite, à la manière d’un « gène », dans le patrimoine culturel de l’homme. C’est vrai également que la science n’est pas accessible à tous et qu’il y a des hommes qui vivent à l’écart des progrès scientifiques, mais cela ne prouve guère que la science soit moins indispensable que la philosophie. Qu’un individu isolé dans un monastère ou dans le désert soit coupé des objets de la technoscience ne signifie pas qu’il soit coupé de la société et des hommes. Or tant qu’on est lié à la société et aux hommes ont est d’une façon ou d’une autre touché par la science. Qu’elle soit balbutiante ou achevée, la science est un besoin pour l’homme car elle ne fait que perpétuer la soif de comprendre l’univers. La science est aujourd’hui tellement ancrée dans nos mœurs qu’il est difficile, voire impossible de voir les hommes s’en passer. Le fait que dans le passé lointain de l’humanité l’homme ait survécu sans aucun recourt à la science n’entraîne pas qu’aujourd’hui qu’il puisse vivre sans science. Peut-être même que l’humanité est désormais dans une situation telle que la science est devenue indispensable.
Dans l’absolu science et philosophie ont la même valeur chez l’homme et c’est ce qui fait que qui peut se passer de philosophie, peut également se passer de science et, symétriquement qui ne peut se passer de philosophie ne peut se passer de science. Emmanuel Kant a dit « Il n’est besoin ni de science ni de philosophie pour savoir ce qu’on a à faire, pour être honnête et bon, même sage et vertueux ». Sous ce rapport, l’homme ne cesserait pas d’être homme s’il était dépourvu de philosophie et de science. Autrement dit, on peut concevoir un homme sans philosophie ni science, mais on ne peut concevoir un homme sans morale parce que celle-ci est inscrite dans la structure même de son esprit. La vie de l’homme peut certes être améliorée par la science, son désir de justifier son existence peut être pris en charge par la philosophie et par la religion, mais son devoir d’être homme, c’est-à-dire son obligation de mériter sa dignité, dépend uniquement de sa volonté
Dire de la philosophie qu’elle est inutile, ce n’est pas prouver sa faiblesse ; c’est au contraire faire son éloge. Qu’en pensez-vous ?
L’inutilité d’une chose est en général évoquée pour la déprécier ou pour exiger son abandon. Ce qui inutile ne sert à rien, raison de plus pour s’en défaire : mais le sujet affirme que pour la philosophie c’est son inutilité qui fait sa valeur ! Au lieu que l’inutilité de la philosophie soit une remarque négative pour la philosophie, c’en est plutôt l’apologie. Si faire l’éloge de quelqu’un ou de quelque chose c’est chanter ses louanges ou lui faire un compliment, n’est-il pas paradoxal de considérer l’inutilité de la philosophie comme un mérite à chanter ? Si l’inutilité s’oppose à l’utilité, dire de la première qu’elle est une valeur est-ce suggérer que la seconde est une tare ? Qu’est ce qui différencie l’inutilité de la philosophie de l’inutilité du bavardage (par exemple) et qui pourrait justifier que celle de la philosophie soit valeureuse ?
Thèse : le candidat doit expliquer et argumenter l’affirmation du sujet : montrer que le caractère désintéressé de la philosophie n’est pas une tare, mais plutôt une qualité en mettant en exergue sa dimension axiologique, contemplative.
Théophile Gautier a dit « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement : qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ?…. Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien : tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature. L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines » Préface à Mademoiselle de Maupin. Cette apologie de l’art pour l’art montre que l’inutilité n’est guère un défaut ; au contraire dans plusieurs sphères de la vie intellectuelle et morale des hommes la norme de la valeur des choses réside dans leur inutilité. Si personne n’a jamais reproché à l’art sa nature désintéressée, pourquoi devrait-on le reprocher à la philosophie ? Dans nos conduites morales, nous plaçons les actions désintéressées au-dessus de celles motivées par l’intérêt. Dans l’amour, nous préférons l’amour platonique à celui charnel et/ou matériel. S’il en est ainsi, c’est parce que nous sommes conscients que sans leur dimension morale nos actions seraient dénuées de toute valeur. Notre humanité même réside dans ce souci de la dimension immatérielle de notre existence : les choses immatérielles sont, dans bien des cas, plus importantes à nos yeux que les biens matériels. Sous ce rapport précis, l’inutilité n’est pas un défaut et puisque la philosophie s’est posée dès l’antiquité comme « le savoir pour le savoir » (Aristote), lui reprocher son inutilité c’est en fin de compte la méconnaître. Car les choses utiles n’ont aucune valeur en elles-mêmes : elles sont, pour reprendre la formule de Kant, « mercenaires » : une activité motivée par un besoin doit son existence à ce besoin et s’arrête une fois le besoin satisfait. C’est également méconnaître la nature profonde de l’homme que de circonscrire la notion d’utilité à la seule dimension matérielle : c’est bien parce que nous sommes capables de faire des choses inutiles que nous sommes supérieurs aux animaux. C’est vrai que la philosophie ne fournit pas de réponses exactes aux questions qu’elle soulève ; c’est également vrai qu’elle ne transforme pas nos conditions d’existence en les rendant plus commodes, mais c’est cela même sa valeur. Si nous n’étions pas capables de nourrir notre esprit par la philosophie (pour parodier Descartes) nous ne serions pas dignes de notre rationalité : le sens de notre existence, la valeur de nos actions et de nos créations sont des préoccupations essentielles à notre humanité. « Il faut vivre d’abord et philosopher après » dit l’adage parce que la philosophie entre dans le domaine du loisir. Le loisir fait partie de nos préoccupations légitimes, car un monde sans loisir serait radicalement invivable. Le plaisir de regarder les fleurs ne sera jamais considéré comme une activité caduque ; pour la même raison on ne devrait pas considérer l’inutilité de la philosophie comme une tare. « A quoi sert l’amour ? Le bonheur ? A rien ! » s’exclamait A. Comte-Sponville pour mettre en exergue le caractère illégitime de la critique d’inutilité faite à la philosophie. Si la vocation de la philosophie est comme l’avait pensé Simplicius, celle d’être « sculpteur d’homme », elle n’y parviendra que si elle est désintéressée, car on ne peut pas former l’homme sans valeurs morales. Cicéron a dit « un champ si fertile soit-il ne peut être productif sans culture et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement (…). La culture de l’âme, c’est la philosophie : c’est elle qui extirpe radicalement les vices, met l’âme en état de recevoir les semences, et pour ainsi dire, sème ce qui, une fois développé, jettera la plus abondante des récoltes. ». Si, comme le dit Cicéron la philosophie est ce qui arrache nos vices et nous assagit, c’est parce qu’elle nous inculque des valeurs et nous élève à l’universalité en nous libérant de la contingence et de la tyrannie de nos intérêts et besoins matériels. La philosophie n’est peut-être pas inutile : elle est nécessaire pour des êtres pensants, elle l’est pour l’usage que ces derniers font de leurs différents savoirs et pouvoirs. Bref pour comprendre que l’inutilité est la vraie valeur de la philosophie il suffit d’imaginer un monde sans philosophe ; il faut méditer ce propos cette réflexion de Condorcet : « une société qui n’est pas éclairée par des philosophes est abusée par des charlatans ».
Antithèse : Cependant, s’il est vrai qu’une chose inutile peut avoir une grande valeur est-ce valable pour la philosophie qui se définit avant tout comme amour de la sagesse ? Une philosophie cesse-t-elle d’être philosophie si elle devient utile ?
« L’art pour l’art est beau, mais l’art pour le progrès est encore plus beau » : telle fut la réponse de Victor Hugo à la théorie de l’art pour l’art. On pourrait s’inspirer de lui pour faire remarquer qu’on ne reprochera pas à une philosophie engagée dans la transformation du monde son utilité. Si la philosophie est capable d’infléchir le cours de l’histoire en combattant l’injustice et l’aliénation de l’homme, elle n’en restera pas moins une grande philosophie. La contemplation philosophique ne s’est jamais réellement coupée de la sphère de l’existence humaine. Aussi, la dialectique ascendante platonicienne n’a-t-elle de sens que si elle est accompagnée d’une dialectique descendante : la quête désintéressée de la vérité n’a de sens que si elle permet de faire de celle-ci la règle de la conduite humaine. Faire l’éloge de l’inutilité c’est courir le risque de stopper tout élan de progrès. Dans un monde étouffé par des difficultés de toutes sortes est-il raisonnable de faire l’apologie de la philosophie contemplative ? Si Nietzsche a condamné Socrate, c’est parce qu’il l’accuse d’être un dangereux théorétique c’est-à-dire qui se rapporte à la théorie au détriment de la pratique. Le fait de proclamer que la valeur de la philosophie réside dans son inutilité pourrait, dans ce sens, être perçu comme une forme de légitimation de l’impuissance ou une conversion métaphysique de la faiblesse en grandeur. Ce que Nietzsche appelle la morale des faibles, c’est cette ruse consistant à appeler au désintéressement par volonté de puissance décadente : ne pouvant pas donner corps à leur volonté d’être forts, les faibles ont proclamé que la force et l’intérêt sont mauvais. Dans la morale des faibles, « ne pas pouvoir » est sublimé en « ne pas vouloir ». Sous ce rapport, prétendre que l’inutilité de la philosophie fait sa grandeur c’est chercher à occulter une tare en la peignant sous les habits de la vertu. Science d’où prévoyance, prévoyance d’om action disait A. Comte pour souligner le souci technique de la recherche scientifique : la science est utile et il ne viendra à l’esprit de personne de remettre en cause sa valeur. Pourquoi philosophe-t-on, si ce n’est pour connaître l’homme et l’amener à occuper la place qui est la sienne dans l’univers ? Le sophiste Calliclès, critiquant Socrate, a dit que c’est indigne d’un homme responsable de s’adonner à la philosophie alors que ses devoirs de père de famille et de citoyen l’attendent. On ne peut pas, dans un univers de dénuement total, où tout est une urgence, se permettre de faire de la contemplation une activité d’une grande importance. Et l’argument selon lequel la philosophie assagit et humanise l’homme est souvent infirmé par la perversion que la pratique de la philosophie produit sur les jeunes. Bien souvent le contact avec la philosophie inspire des comportements nihilistes chez les jeunes. De toute façon, si l’inutilité de la philosophie est une qualité, on ne comprendrait plus la définition qu’Épicure donne à la philosophie : c’est-à-dire, une « activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse ». Marx s’inscrit en porte-à-faux avec cette tendance contemplative de la philosophie lorsqu’il dit que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde il s’agit maintenant de le transformer » (Thèses sur Feuerbach). Marx pense que la philosophie doit nous donner des règles d’action, et surtout des règles d’action politique. Cela suggère aussi que la théorie et la pratique ne se dissocient pas. Elle doit cesser d’être une simple idéologie qui nous détache du réel pour s’engager dans la voie de l’action
La notion de vérité peut-elle s’appliquer à l’art?
PROBLEMATIQUE : Le sujet soulève la question de l’objectivité dans l’art. L’on se demande, dans la mesure où l’art est réputé être subjectif, le concept de vérité y est-il fonctionnel ? Est-il légitime de parler d’art vrai ou de véritable d’œuvre d’art ? Comment peut-on appliquer une catégorie de la connaissance à une production qui revendique le mensonge comme l’un de ses moyens ?
THESE : L’art vrai existe dans toutes les acceptions de la notion de vérité.
A l’époque classique, l’art vrai renvoyait à l’art réaliste. Dans la mesure où la vérité est conformité, alors plus l’œuvre d’art ressemblait au modèle qu’est la nature, plus elle était vraie. La légende raconte que le Grec Zeuxis (5e siècle avant J.-C.) avait peint de manière tellement réaliste une grappe de raisin que les oiseaux venaient la picorer. Dans le domaine de l’imitation toujours, on peut parler d’art vrai. En effet, dans la mesure où la vérité signifie authenticité, originalité, on peut appliquer la notion de vérité à l’art. On parle aussi de la vraie Joconde pour suggérer qu’on parle du tableau original et non de celui du faussaire. Et dans la mesure où la vérité est synonyme de réussite ou d’efficacité, on peut parler également de véritable œuvre d’art. En effet, une musique très bien réussie s’apprécie en termes de « vraie musique ». La conception pragmatiste de la vérité autorise aussi à appliquer la notion de vérité à l’art. En effet, si par vérité on entend utilité ou efficacité, on peut parler de l’art vrai au sens de l’art engagé qui réussit à transformer le monde. Les grands artistes disait Malraux « ne sont pas des transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux ». L’art engagé dans le combat contre l’injustice et la laideur du monde peut parfaitement réussir dans cette entreprise. Or le pragmatique nous propose de chercher le critère de la vérité dans la réussite : la vérité est ce qui réussit a dit W James. Par ailleurs, si le vrai est reconnaissable à travers le critère de l’unanimité, on peut légitiment parler de véritable œuvre d’art. En effet, les stars mondiales font l’unanimité et leurs œuvres sont immortelles. Ces merveilles qui défient le temps sont presque immuables et impersonnelles : elles transcendent le temps et les espaces culturels.
Peut-on croire sans savoir?
Analyse :
Peut-on : possibilité matérielle, capacité, aptitude, ou est-il légitime, a-t-on la liberté
Croire : tenir pour vrai, supposer, avoir confiance, croire quelqu’un c’est se fier à lui, adhérer naïvement.
Savoir : connaître, être conscient, être informé, être instruit, avoir fait l’expérience.
Croire sans savoir : croyance dépourvue de savoir, le fait de croire sans rendre compte, c’est-à-dire inconsciemment, croyance qui exclut la raison, la connaissance (fanatisme, superstition).
Problématique : Il s’agit de réfléchir sur le rapport paradoxal entre la croyance et le savoir. On oppose volontiers savoir et croyance ; on prétend même qu’on croit parce qu’on ne sait pas. La croyance est-elle légitime sans le savoir ? Est-il possible de croire sans le savoir ? Ces deux questions impliquent que le savoir doit précéder la croyance, qu’il est indispensable à cette dernière. Cette affirmation n’est-elle pas paradoxale au regard de la définition de la croyance comme le fait de tenir pour vrai, de supposer, d’adhérer sans preuve ?